pALESTINE, les couleurs de la révolte
Commémoration de la Nakba chaque 15 mai, Journée de la terre le 30 mars, les Palestiniens se donnent régulièrement rendez-vous pour manifester. Ils cherchent ainsi à perpétuer la mémoire d'un destin national marqué par les tragédies, poser des rendez-vous pour évoluer comme collectif autour de dates majeures constituant leur Histoire et afficher les symboles nationaux. En somme, proclamer l'existence d'une communauté de destin entre tous les Palestiniens.
Dans certaines localités de Cisjordanie, comme à Bilin, des protestations ont lieu tous les vendredi, après la prière, en fin de matinée. Elles débouchent souvent sur des affrontements entre l’armée israélienne et les manifestants (des Palestiniens, des internationaux, mais aussi des Israéliens sensibles à la cause palestinienne).
Parfois, des protestations éclatent hors de tout rendez-vous planifié à l'avance, quand le contexte politique évolue : lorsque les Palestiniens perdent des marges de manœuvre par rapport aux Israéliens.
Le rapport à l’espace, le contrôle de la terre, est central dans le conflit israélo-palestinien. Durant les manifestations pro-palestiniennes, les protestataires évoluent dans un espace donné, défini par les Israéliens. Les mouvements, les échanges entre les Palestiniens et les autorités israéliennes, témoignent des rapports de forces largement inégaux. Et selon l’espace d’expression, la nature de la manifestation change. Lors d'un même événement, l'intensité des violences est toujours plus forte à proximité d'un checkpoint, dans la zone C, que dans une grande ville palestinienne, dans la zone A.
J’ai assisté à de nombreuses protestations pro-palestiniennes, en tant que journaliste. Le 14 mai 2018, j’ai suivi la commémoration de la Nakba, l’exil palestinien de 1948, qui partait de Ramallah. Exceptionnellement, elle était organisée le 14 et non le 15, pour correspondre à la date de déménagement de l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem cette année. Cette manifestation est particulièrement représentative des enjeux liés à l’utilisation de l’espace et à la manière dont les Palestiniens tentent de casser les nombreuses limites qui les entourent, généralement de manière symbolique, tant le rapport de force est inégale avec l'occupant israélien.
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Le 14 mai 2018, les rassemblements débutent en fin de matinée à Ramallah. Dans la « capitale administrative » palestinienne, une ambiance de kermesse domine, avec la présence de nombreux enfants et de vieillards. En début d'après-midi, les manifestants prennent la route à pied, direction Jérusalem. Dans le défilé, quelques dizaines de protestataires tiennent les clés de Jérusalem dans leurs mains. Un symbole représentatif du rapport des Palestinien à la ville sainte : dépossédés d'une partie de la ville en 1967 (début de l'occupation israélienne sur Jérusalem Est), les Palestiniens la revendiquent toujours comme capitale de la future Palestine. Les clés représentent leur droit légitime sur la ville, qui persistent malgré l'exil.
Au fil de la marche, les manifestants se font plus rares. A l'arrivée à Qalandia, à mi-chemin entre Ramallah et Jérusalem, seuls quelques dizaines de protestataires demeurent. Même si la destination finale est censée être la ville sainte, aucun manifestant ne passera le checkpoint. Ils sont arrêtés par l'armée israélienne.
Près des barrières massives de Qalandia, sous les miradors, des dizaines de jeunes, principalement des hommes, des garçons, affrontent les soldats de "Tsahal". Sans jamais croire qu’ils briseront le checkpoint pour atteindre Jérusalem, ils jouent sur l’espace, en défiant les soldats israéliens dans des répétitions de mouvements presque théâtrales, jusqu’à la lassitude, en fin de journée.
Certaines photos ont été publiées dans Les Clés du Moyen-Orient
Des manifestants brandissent la clé de Jérusalem. La partie Est de la ville est occupée par Israël depuis 1967. Elle est annexé par l’État hébreu en 1980, par une loi fondamentale qui déclare la localité comme "unifiée et capitale de l’État d'Israël ". Israéliens et Palestiniens revendiquent la ville sainte comme capitale.
Après une heure de marche, les manifestants sont stoppés par l'armée israélienne à Qalandia, le checkpoint qui sépare Ramallah et Jérusalem.
Les affrontements commencent entre une poignée de manifestants et l'armée israélienne. Les protestataires sont, dans leur écrasante majorité, des hommes, des jeunes adultes ou des adolescents. Généralement issus de milieux modestes, ils sont souvent originaires des camps de réfugiés en Cisjordanie, comme le camp de Qalandia.
Certains sont actifs. Ils cherchent l'affrontement limité avec les soldats israéliens. D'autres observent la scène sans jamais intervenir, sur les toits, ou protégés par les murs sur le bas côté.
Certains sont actifs. Ils cherchent l'affrontement limité avec les soldats israéliens. D'autres observent la scène sans jamais intervenir, sur les toits, ou protégés par les murs sur le bas côté.

Constamment utilisés lors des manifestations au niveau des checkpoints, les pneus en flammes sont envoyés en direction de l'armée israélienne. Ils visent principalement à rendre difficile la vision des soldats en cas de tirs. Ce jeune palestinien envoi le pneu sous les regards admiratifs de ses camarades.
Manifestants palestiniens face à l'armée israélienne.
Des petits groupes de manifestants font directement face à l'armée. Ils traversent la rue, lancent des pierres, font des gestes de provocation, en s'encourageant mutuellement. La peur est au rendez-vous, mais difficile de tracer la frontière entre le challenge sérieux contre des forces israéliennes lourdement armées, et le jeu : certains protestataires utilisent l'humour pour "impressionner la galerie". A chaque protestation, une forme de dialogue s'instaure avec les soldats. Des cailloux jetés, et le gaz lacrymogène (extrêmement puissant) est envoyé. Des manifestants qui se rapprochent du checkpoint, et les balles sifflent.
Les femmes sont très rares à ce niveau de la manifestation.
Jerusalem, If i forget you
Chaque année, au printemps, des milliers d'Israéliens se réunissent pour la "Journée de Jérusalem." Pendant un jour, ils célèbrent l'unification de la ville entre la partie Est et la partie Ouest. Sous contrôle jordanien à partir de 1948, Jérusalem Est est occupée par Israël à partir de 1967, à l'issue de la Guerre des Six jours. En 1980, elle est annexée par l’État hébreu. C'est l'intégration de l'Est avec l'Ouest que ces Israéliens célèbrent chaque année. La manifestations se concentre principalement du côté Ouest, majoritairement habité par des Israéliens juifs. Dans la ville, les drapeaux d'Israël ont envahi les rues. Partout, des scènes de joie dans une ambiance de carnaval aux couleurs bleu et blanc. Mais chaque année, une partie du cortège se rend aussi dans les points les plus tendus de Jérusalem Est, toujours reconnue comme territoire occupé en droit international, et habitée majoritairement par des Palestiniens qui n'ont qu'un statut de résident. Les manifestants les plus radicaux s'arrêtent d'abord devant la Porte de Damas, l'entrée principale vers le quartier musulman de la vieille ville de Jérusalem. Ils dansent dans des scènes de liesses, en scandant des chants nationalistes israéliens. Certains sont armés. Beaucoup sont originaires des colonies de Cisjordanie et Jérusalem Est. Une provocation absolue pour les Palestiniens de ce quartier. Pour répondre aux protestataires, quelques dizaines de palestiniens se réunissent en haut des marches de la Porte de Damas pour contre-manifester. Mais ils sont inaudibles. La police israélienne veille à ce qu'ils ne perturbent pas la marche nationaliste.
Les protestataires gonflés à bloc passent progressivement, par groupes, la Porte de Damas. C'est le moment le plus tendu. La plupart des échoppes sont fermées. Quelques Palestiniens qui ont tout de même décidé d'ouvrir se tiennent sur le côté, sans dire mot. Là, les insultes fusent contre Mohammed, prophète dans la tradition musulmane. L'ambiance est électrique. Il en faut peu pour que cela éclate en affrontement. Mais les provocations des manifestants se répètent et glissent sur les quelques observateurs palestiniens : ceux-ci ont l'habitude du show annuel. Dans la vieille ville, même la police israélienne semble exaspérée par les provocations des manifestants israéliens.
Ce rendez-vous annuel témoigne de la centralité qu'à pris Jérusalem ("unifiée") dans le récit israélien. C'est une date majeure célébrée par une large partie de la population. Elle mobilise les Israéliens par milliers. Et pas seulement ceux qui vivent dans les colonies, considérés comme les plus radicaux. Dans la partie Ouest et dans les quartiers à majorité juifs de la partie Est, l'ambiance est bonne enfant. Une réalité qui témoigne de la force avec laquelle la division de Jérusalem (point le plus sensible des dernières négociations) entre une future Palestine et Israël n'est pas envisageable pour grand nombre d'Israéliens.
Cette journée témoigne aussi des différences de traitements entre Palestiniens de Jérusalem Est et Israéliens. Les provocations, les insultes, fusent pendant des heures en direction de la population palestinienne, dans un défilé ultra-nationaliste. Certains manifestants sont armés et les autorités israéliennes restent de marbre. Impensable d'imaginer un scénario inversé.
Les protestataires gonflés à bloc passent progressivement, par groupes, la Porte de Damas. C'est le moment le plus tendu. La plupart des échoppes sont fermées. Quelques Palestiniens qui ont tout de même décidé d'ouvrir se tiennent sur le côté, sans dire mot. Là, les insultes fusent contre Mohammed, prophète dans la tradition musulmane. L'ambiance est électrique. Il en faut peu pour que cela éclate en affrontement. Mais les provocations des manifestants se répètent et glissent sur les quelques observateurs palestiniens : ceux-ci ont l'habitude du show annuel. Dans la vieille ville, même la police israélienne semble exaspérée par les provocations des manifestants israéliens.
Ce rendez-vous annuel témoigne de la centralité qu'à pris Jérusalem ("unifiée") dans le récit israélien. C'est une date majeure célébrée par une large partie de la population. Elle mobilise les Israéliens par milliers. Et pas seulement ceux qui vivent dans les colonies, considérés comme les plus radicaux. Dans la partie Ouest et dans les quartiers à majorité juifs de la partie Est, l'ambiance est bonne enfant. Une réalité qui témoigne de la force avec laquelle la division de Jérusalem (point le plus sensible des dernières négociations) entre une future Palestine et Israël n'est pas envisageable pour grand nombre d'Israéliens.
Cette journée témoigne aussi des différences de traitements entre Palestiniens de Jérusalem Est et Israéliens. Les provocations, les insultes, fusent pendant des heures en direction de la population palestinienne, dans un défilé ultra-nationaliste. Certains manifestants sont armés et les autorités israéliennes restent de marbre. Impensable d'imaginer un scénario inversé.
La manifestation prend des airs de kermesse dans la partie Ouest de la ville.
Devant la Porte de Damas, des centaines de manifestants défilent par groupes. L'ambiance a changé. La colère domine. La provocation et l'expression d'une certaine domination a envahit les lieux.
Quelques enfants accompagnent leurs parents. Mais ils sont plus rares qu'à l'Ouest.
.A l'heure où le président américain Trump multiplie les cadeaux offerts à la droite israélienne, les protestataires marquent leur attachement aux Etats-Unis.
Un manifestant explique la "Journée de Jérusalem" à ce groupe de jeunes ultra-orthodoxes juifs. Tournés vers une vie religieuse stricte, une grande partie des ultra-orthodoxes n'est pas sioniste. Ils considèrent qu'Israël doit voir le jour après le retour du Messie.
Une fois passée la Porte de Damas, les tensions montent dans le cortège. Les slogans ultra-nationalistes, voir racistes, fusent.
Des tensions émergent même entre les manifestants et la police israélienne.